Tour du Bost, Charmoy - Saône-et-Loire

Tour du Bost - CharmoyLa citerne de la Tour du Bost

La Tour du Bost, dans la commune de Charmoy (Saône-et-Loire) est une grosse tour carrée de 14,75 m de long, 12,75 m de large, 40 m au-dessus du sol, datée sans doute du XIVe siècle. Dévastée par un incendie en 1920, elle connut une lente dégradation. Adoptée par l'association qui porte son nom, elle est l'objet d'une restauration suivie depuis 1992, d'abord par chantiers de bénévoles, puis par chantiers d'insertion depuis 2000. L'objet de mon exposé est l'alimentation en eau de cette tour médiévale et pour vous l'expliquer, je vais simplement raconter comment on en a redécouvert les différents éléments, enfouis dans les sous-sol du bâtiment.

Une légende

A l'origine, il y a une légende, la seule attachée à ce monument pourtant très impressionnant : la légende d'une fontaine mystérieuse, relatée par Courtépée, vers 1760 : « Dans les bas-fonds de la tour, il y a toujours quinze pieds de profondeur remplis d'une eau très vive, quoique cette tour soit édifiée sur une monticule. Les habitants prétendent que cette fontaine servait à cacher des trésors. Ils croient même encore qu'on s'exposerait à la fureur des génies si l'on tentait d'épuiser les eaux ».
Or, au cours du XIXe siècle, l'étage inférieur de la tour avait été presque totalement comblé et condamné pour des raisons qu'on peut supposer : Après l'effondrement des planchers entre le rez-de-chaussée et le sous-sol, le remblai permettait l'accès de plain pied dans la tour pour y entreposer du bois ou des légumes. De plus, certaines des parties basses de la tour étant en eau, il fallait éviter les noyades d'enfants ou d'animaux et empêcher la prolifération des moustiques...
Jean-Gabriel Bulliot, dans son ouvrage La Tour du Bost, publié dans les Mémoires de la Société Eduenne entre 1897 et 1901, fait le constat de ce comblement : « Un remblai considérable, imprégné d'humidité, obstrue complètement ce niveau que l'infiltration de l'eau a condamné… ». Mais il ajoute un peu plus loin : « L'eau de la citerne, malgré ses déperditions et son encombrement, a encore un mètre de hauteur et un niveau supérieur à celui du puits... Le sondage n'a pu être complet à cause de l'obstruction des décombres. Une perche enfoncée de 4 mètres, du dehors, à travers un larmier, n'a pas pu atteindre un fond solide ». Et, malgré le mystère entretenu par le remblai, Bulliot conclut sur l'importance de la citerne : « Le vaste récipient affecté à l'approvisionnement en eau témoigne du souci qu'on avait de n'en jamais manquer. La citerne avait une importance capitale dans les donjons et son aménagement était un des soucis principaux du constructeur ».
Gaston Dubreuil se souvient aussi qu'en sa jeunesse (1930-35), les vieux racontaient qu'au fond de la tour, il y avait une source qui donnait en abondance une eau limpide, pure et pleine de vertus, et que cela avait été un malheur de la combler. Avec son père et quelques voisins, Gaston essayait d'enfoncer une perche dans la boue humide pour toucher le fond. En vain…

Intérieur de la tour du Bost en 1992Les travaux

En 1992, lorsque l'association la Tour du Bost a commencé son oeuvre, l'étage souterrain était toujours comblé et sans doute dans l'état qu'avait connu Bulliot à la fin du XIXe siècle. S'étaient ajoutées au remblai des tonnes de pierres et de liant provenant de la chute des voûtes et de la partie sommitale du monument. Ce sont ces gravats qu'il a fallu d'abord dégager tout en consolidant le mur de refend et la base des voûtes.
Ce comblement du sous-sol présentait un grand avantage pour les travaux de restauration : Il permettait de poser commodément les poteaux de soutènement des veaux (vaux) nécessaires à la reconstruction des voûtes, travaux réalisés par l'association en 1996-1997. Ce n'est donc qu'ensuite, entre 1998 et 2002, et en plusieurs étapes, que nous avons procédé au décaissement des deux pièces de l'étage inférieur.
En juillet 1998, lors d'un stage Monuments Historiques, un sondage archéologique des remblais de la première salle de ce niveau a confirmé un processus de comblement au XIXe siècle, au-dessus d'une couche de boue noire liquide qui pourrait recéler du matériel archéologique. Le travail de décaissement, pénible, peu ragoûtant mais peu coûteux pour une association pauvre, a consisté à enlever au seau près de 150 m3 de terre puis de boue liquide, noirâtre et puante. Le déblaiement a été suivi des travaux de maçonnerie, jointoiement, enduits et pose des sablières, solives et planches qui séparent l'étage inférieur du rez-de-chaussée.

L'étage du sous-sol de la Tour

Citerne de la tour du BostLes travaux ont donc permis de retrouver tout l'étage inférieur de la tour, appelé désormais niveau 1. Tout ce niveau est creusé dans les grès rouges. On y accède par l'escalier aménagé dans le mur et par une porte de 0,60 m de largeur et 1,90 m de hauteur…. Le niveau se compose de deux salles jumelles, la cave (salle n° 1) et la citerne (salle n°2), chacune de 7 m x 4,40 m environ, séparées par le mur de refend de 0,70 m d'épaisseur et reliées par une porte voûtée de 1,20 m de largeur et de 1,40 m de hauteur, dont le seuil est surélevé de 30 cm par-rapport au sol. Chaque salle possède une ouverture rectangulaire (0,55 m de largeur et 0,70 m de hauteur) aménagée dans le mur ouest, ouverture donnant dans un conduit qui traverse obliquement le mur jusqu'à un petit larmier, situé plus haut, au ras du sol extérieur, larmier autrefois fermé d'une portelle dont la feuillure est visible. Ces conduits servent à créer un courant d'air et à aérer le sous-sol.
Les travaux ont aussi permis de découvrir la fontaine et de rétablir le système d'alimentation et d'évacuation de l'eau, dont voici les principaux éléments.

Plan du niveau 1 de la Tour du BostLa source, le canal, la citerne ou « l'eau courante à la Tour »

Une eau claire et pure arrive donc en permanence mais à faible débit dans le coin S-O de la salle n°2 par une source, bassin rectangulaire de 1m x 0,60 m et de 0,50 m de profondeur creusé dans la roche. On est loin des dimensions mythiques… L'eau s'écoule en traversant la salle en diagonale, empruntant une rigole en faible pente creusée dans la roche. Elle parvient à un orifice aménagé sous le seuil de la porte voûtée qui fait communiquer la salle 2 et la salle 1 : C'est l'entrée d'un canal creusé dans la roche, de 25/30 cm de largeur et de profondeur, et recouvert de dalles. Ce canal d'évacuation suit tout le côté Est de la salle n°1 et parvient à l'angle Nord-Est de la Tour. Il est aménagé de façon très soigneuse puisque les dalles reposent sur un ressaut du mur de 0,25 m. Là, dans le coin, par un conduit de plus de 4,50 m qui traverse le mur, l'eau s'évacue à l'extérieur, sans doute par un puits perdu, vers les prés en contrebas occupés jadis par des étangs. Ces aménagements permettent de garder la salle n° 1 au sec. Elle devait faire office de cave, lieu de stockage des légumes et du vin. Outre l'escalier, elle est desservie par le plan incliné, à l'est, sur lequel s'ouvre le plancher amovible du palier d'entrée. Ce système permettait sans doute de faire descendre les marchandises (et les tonneaux ?) pour les conserver au sous-sol.
La salle 2 peut se transformer en citerne, il suffit d'empêcher l'évacuation de l'eau en bouchant l'entrée du canal par une pelle. L'eau peut monter alors jusqu'à une hauteur de 40 cm environ. Cette citerne, d'une superficie de plus de 30 m2, contient donc 12 m3. Outre le ressaut du mur supportant les dalles, plusieurs autres éléments montrent le soin apporté dans l'aménagement de ce niveau inférieur. - Le sol est recouvert d'argile verte pour éviter les infiltrations et déperditions d'eau. - L'enduit des murs de la citerne et de la cave était de qualité remarquable : De teinte rougeâtre, après des lustres d'enfouissement dans la terre humide, il tenait encore accroché obstinément aux murs : C'est un mortier de tuileau fait de tuiles et de briques pilées que les maçons d'autrefois ont ajoutée à la chaux. C'est ce type de mortier qui a été refait en septembre 2008 et qui a servi aussi à étancheïfier les maçonneries du canal d'évacuation lors de leur réfection.
Tous ces éléments (et surtout le ressaut du mur pour poser les dalles qui recouvrent le canal et le conduit d'évacuation aménagé dans le mur) montrent bien que la tour a été construite sur la source, en pensant son architecture par-rapport à l'eau. En aucun cas, on peut penser qu'on a commencé la construction puis qu'on a été obligé de s'adapter par rapport à l'arrivée intempestive de l'eau.
L'intérêt d'un tel système d'eau courante dans la Tour est évident. Les hommes du Moyen Age connaissaient et pratiquaient la guerre bactériologique en empoisonnant les citernes et les sources. La présence d'une source dans les sous-sols de la tour, protégée par l'épaisseur des murs, permettait de tenir un long siège en disposant d'eau pure et sans craindre la contamination. La légende attachée à cette source jusqu'à notre époque témoignent sans doute de son importance autrefois et peut-être de la propagande seigneuriale.

Canal de la citerneAménagements desservant la citerne

A propos de l'utilisation de la citerne, Bulliot apporte les précisions suivantes : « La citerne servait non seulement à la cuisine mais un treuil spécial, affecté au service de la salle des gardes et de la salle du maître située au dessus, descendait un seau qui, rempli directement au réservoir, était remonté jusqu'à une cage de bois (de 2,10 m de long sur 0,70 m de large) à la première salle, et dans une logette attenante à la seconde salle ». Ces aménagements, qui ne dataient peut-être pas du Moyen Age mais de l'époque où la salle des gardes servait de cuisine, ont été détruits par l'incendie de 1920, et le trou dans la voûte destiné au passage des seaux a sans doute fragilisé cette partie de la maçonnerie qui s'est effondrée…

Conclusion

Pour conclure, je souhaiterais parler de la présence de l'eau à l'intérieur d'une tour dans des châteaux voisins de la Tour du Bost.
A la Motte-Loisy, une tour d'angle du château, la seule subsistante et épargnée par la destruction de 1850, sert de puits. En fait, tout son sous-sol est un puits de 2,50 m de diamètre et de 2 m de profondeur, une réserve d'eau provenant d'une nappe souterraine.
Le château du Breuil (fin XVIIe s. Baudinot) a conservé dans son sous-sol l'ancienne cuisine d'une maison forte antérieure datant du XVe s. et construite par la famille de La Garde. Dans cette cuisine subsistent intact, les soubassements de cette ancienne maison avec le puits inclus dans le mur : Le fût et la margelle sont conservés, il a été comblé et surtout dans l'épaisseur du mur existe encore en parfait état le conduit permettant de puiser l'eau depuis l'étage supérieur disparu.

Robert Chevrot - Président de l'association « la Tour du Bost »